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mardi 24 octobre 2017

Anna Llenas : La couleur des émotions



Dans La couleur des émotions d'Anna Llenas aux Editions Quatre fleuves, le petit monstre des couleurs est de mauvaise humeur. Il ne sait pas ce qu’il ressent. Toutes les couleurs sont mélangées. Son amie, la petite fille va l’aider en mettre des mots sur ses émotions pour y voir plus clair.



D’abord nommer l’émotion et lui attribuer une couleur, le jaune pour la joie, le bleu pour la tristesse, le marron pour la peur …




Ensuite démêler ce qu’il y a au fond de son coeur  quand on éprouve ce sentiment :




La colère est dévastatrice,
Elle éclate comme l’orage,
Elle allume notre coeur…

Et la sérénité ? qu’est-ce que c’est ?


La sérénité nous calme
Elle est douce comme une maman
Légère comme une feuille au vent..

Ensuite enfermer les émotions dans une bouteille pour mieux les comprendre.



Cet adorable petit livre plein de poésie peut être lu par les enfants à différents âges. Pour les plus petits, c’est l’apprentissage des couleurs associées à un sentiment. Avec les grands, la lecture peut aller encore plus loin et les amener à réfléchir sur ce qu’ils ressentent, les faire parler et nommer les émotions qu’ils ont ressenties, et même en trouver d’autres non mentionnées dans le livre et imaginer leur couleur. Le vocabulaire est riche et entraîne aussi beaucoup de discussions et d'explications.
Ajoutez-y les illustrations en relief, pop-up  qui s'ouvrent comme des petits tableaux animés, aux couleurs éclatantes pour la joie et la colère, pastel pour la tristesse, fraîche pour la sérénité ... Et le rose ? Qu'est-ce que c'est ?

L’avis de Liam  (4 ans) :

En se réveillant de la sieste, tout reposé et de bonne humeur, Liam  s’est exclamé : "Moi, j'ai de la joie et de la sérénité ! "

Et le rose ? " C'est l'amour ! ".

C'est gagné !

PS : Le lendemain de la lecture : sa maman le gronde. "Là, ma maman tu es de couleur rouge ! "


Pop-up : la joie

J'ai déniché cette image du pop-up de la joie dans le blog d'une maîtresse qui a fait travailler les enfants à partir de cet album. Allez voir toutes ses idées.

Maternelle-bambou ICI
http://maternelle-bambou.fr/monstre-couleurs-emotions-anna-llenas/

jeudi 19 octobre 2017

Thomas Vinau : Le camp des autres



Quand on ouvre le roman de Thomas Vinau, Le camp des autres, l’incipit suscite immédiatement une image forte et nous met aux aguets : « Le givre fait gueuler  la lumière. » On s'attendait à un roman, on lit un poème ? Ce qui saisit d’abord, donc, c’est le style, rocailleux, comme des pierres roulant sur le lit d’un torrent, un style à fleur de peau et de nature, aisé et pourtant très travaillé. Et l’on se laisse envahir par des images toujours surprenantes dont les métaphores empruntent au domaine réaliste pour créer la poésie :

"Lorsqu’il lève la tête, dos relâché contre le tronc pour reprendre son souffle, les immenses conifères taillent l’azur en pointes d’arbalètes noires. Leurs silhouettes solides bien plantées dans le gras blanc du ciel."

"Dans le ventre sauvage d’un forêt la nuit est un bordel sans nom. Une bataille veloutée, un vacarme qui n’en finit pas. Un capharnaüm de résine et de viande, de sang et de sexe, de terre et de mandibules. Là-haut la lune veille sur tout ça. Sa lumière morte ne perce pas partout mais donne aux yeux qui chassent des éclairs argentés."

Et il y a cette définition de la forêt qui explique le titre  :
"Elle est alors devenue le refuge de ceux qui se refusaient à l'homme et de tous ceux que l'homme refusait : Elle est l'autre camp. Le camp des autres."

On se dit que l’on entre dans un univers littéraire pas comme les autres  et l’on éprouve de la curiosité, de l’empathie pour ce petit garçon, Gaspard maltraité par son père qu’il a tué dans un geste d’autodéfense, obligé de partir pour ne plus jamais y revenir. L’enfant fuit avec son chien blessé. La forêt ne l’épargne pas, à la fois accueillante pour ceux qui cherchent un refuge mais inhospitalière et dangereuse pour les êtres faibles. Il devra la vie à un homme Jean-le-blanc, personnage assez étonnant, braconnier, sorcier-guérisseur, qui connaît tous les plantes mais aussi les pièges de la forêt et va les apprendre à l’enfant.

Toute cette première partie du roman et la poésie qui en découle m’ont beaucoup plu mais j’ai moins aimé le départ de Gaspard avec les gitans, une bande de détrousseurs appelée la Caravane à Pépère dirigée par Capello. Celle-ci a bien existé au début du XX siècle, défrayant la chronique, volant aux étals des marchés, pillant les fermes, et traquée par les bataillons du Tigre de Clémenceau. 
Si j’avais lu la quatrième de couverture et les interviews de Thomas Vinau avant de lire le livre, j’aurais su que là était justement le véritable sujet du roman, une histoire « qui grimpait en noeuds de ronces dans son (mon) ventre », qu’il gardait près de lui depuis longtemps : « alors j’ai voulu écrire la ruade, le refus, le recours à la forêt ».
 A travers cette bande de misérables, Thomas Vinau écrit la révolte contre les nantis, les bourgeois, il décrit les marginaux semblables aux oiseaux sauvages de Jean Richepin. Il les décrit, ivres d’air pur, face aux jeunes « oies édifiantes » de la Basse-cour, il décrit l’insolence des « gueux », leur soif de liberté.  Chaque portrait des membres de la troupe est d'ailleurs réussi, haut en couleur, hors du commun.

Alors pourquoi ai-je moins aimé cette deuxième partie ? 
J’ai eu l’impression que l’écrivain m’arrachait aux personnages que j’aimais et à cette vie en pleine forêt, à cet apprentissage de la nature qui réunissait Gaspard et Jean-le-blanc. En partant avec la Caravane, c’est le vol que l’enfant va apprendre, le refus du conformisme aussi, certes, et l’amour de la liberté, mais cela il y avait déjà goûté avec Jean-le-blanc et d'une toute autre manière par l’intermédiaire de la nature.
En fait, je suis tombée dans une autre histoire !  La seconde n’était pas la suite de la première, c’est autre chose même si Vinau dit les avoir reliées.
 
J'ajouterai que malgré cette image idéalisée du pauvre, du voleur révolté, développée dans ce livre, je n'ai pas pu oublier que ces bandes qui terrorisaient la population au début du XX siècle ne s'attaquaient pas aux nantis, égoïstes, dominateurs et exploiteurs, mais souvent à des gens qui n'étaient pas beaucoup plus riches qu'eux, paysans dans leurs fermes ou sur les marchés qui allaient vendre les produits d'un travail long et pénible. A la différence des Communards dont Victor Hugo prendra la défense, ils n'ont pas d'idéologie politique, ils n'essaient pas de changer la société ni même d'aider les autres. Ils achètent leur liberté aux dépens de ceux qui travaillent même s'ils ont des règles d'honneur comme l'écrivain prend soin de nous le montrer. Donc je n'ai pas pu être en empathie avec eux ni adhérer à leur mode de vie.

Les poètes qui ont inspiré Thomas Vinau

 

Les oiseaux de Matisse


 Au début de chaque grande partie, Thomas Vinau cite des écrivains ou poètes en exergue.

Jean Richepin : Les oiseaux de passage (extraits chantés par Brassens)





Georges Brassens chante Les oiseaux de passage


Oh ! vie heureuse des bourgeois ! Qu'avril bourgeonne

Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents.

Ce pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne ;

Ca lui suffit, il sait que l'amour n'a qu'un temps.




Ce dindon a toujours béni sa destinée.

Et quand vient le moment de mourir il faut voir

Cette jeune oie en pleurs : " C'est là que je suis née ;

Je meurs près de ma mère et j'ai fait mon devoir.

"

Elle a fait son devoir ! C'est à dire que oncque 

Elle n'eut de souhait impossible, elle n'eut

Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque

L'emportant sans rameurs sur un fleuve inconnu.



Elle ne sentit pas lui courir sous la plume

De ces grands souffles fous qu'on a dans le sommeil,

pour aller voir la nuit comment le ciel s'allume

Et mourir au matin sur le coeur du soleil.



Et tous sont ainsi faits ! Vivre la même vie

 Toujours pour ces gens-là cela n'est point hideux

Ce canard n'a qu'un bec, et n'eut jamais envie

Ou de n'en plus avoir ou bien d'en avoir deux.



Aussi, comme leur vie est douce, bonne et grasse !

Qu'ils sont patriarcaux, béats, vermillonnés,

Cinq pour cent ! Quel bonheur de dormir dans sa crasse,

De ne pas voir plus loin que le bout de son nez !

N'avoir aucun besoin de baiser sur les lèvres,

Et, loin des songes vains, loin des soucis cuisants,

Posséder pour tout cœur un viscère sans fièvres,

Un coucou régulier et garanti dix ans !



Oh ! les gens bienheureux !... Tout à coup, dans l'espace,

Si haut qu'il semble aller lentement, un grand vol

En forme de triangle arrive, plane et passe.

Où vont-ils ? Qui sont-ils ? Comme ils sont loin du sol !



Les pigeons, le bec droit, poussent un cri de flûte

Qui brise les soupirs de leur col redressé,
Et sautent dans le vide avec une culbute.

Les dindons d'une voix tremblotante ont gloussé.



Les poules picorant ont relevé la tête.

Le coq, droit sur l'ergot, les deux ailes pendant,

Clignant de l'œil en l'air et secouant la crête,

Vers les hauts pèlerins pousse un appel strident.



Qu'est-ce que vous avez, bourgeois ? soyez donc calmes.

Pourquoi les appeler, sot ? Ils n'entendront pas.

Et d'ailleurs, eux qui vont vers le pays des palmes,

Crois-tu que ton fumier ait pour eux des appas ?



Regardez-les passer ! Eux, ce sont les sauvages.

Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts,

Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages.

L'air qu'ils boivent ferait éclater vos poumons.



Regardez-les ! Avant d'atteindre sa chimère,

Plus d'un, l'aile rompue et du sang plein les yeux,

Mourra. Ces pauvres gens ont aussi femme et mère,

Et savent les aimer aussi bien que vous, mieux.



Pour choyer cette femme et nourrir cette mère,

Ils pouvaient devenir volaille comme vous.

Mais ils sont avant tout les fils de la chimère,

Des assoiffés d'azur, des poètes, des fous.



Ils sont maigres, meurtris, las, harassés. Qu'importe !

Là-haut chante pour eux un mystère profond.

A l'haleine du vent inconnu qui les porte

Ils ont ouvert sans peur leurs deux ailes. Ils vont.



La bise contre leur poitrail siffle avec rage.

L'averse les inonde et pèse sur leur dos.

Eux, dévorent l'abîme et chevauchent l'orage.

 Ils vont, loin de la terre, au dessus des badauds.



Ils vont, par l'étendue ample, rois de l'espace.

Là-bas, ils trouveront de l'amour, du nouveau.

Là-bas, un bon soleil chauffera leur carcasse

Et fera se gonfler leur cœur et leur cerveau.



Là-bas, c'est le pays de l'étrange et du rêve,

C'est l'horizon perdu par delà les sommets,

C'est le bleu paradis, c'est la lointaine grève

Où votre espoir banal n'abordera jamais.



Regardez-les, vieux coq, jeune oie édifiante !

Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu'eux.

Et le peu qui viendra d'eux à vous, c'est leur fiente.

Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux.



Oiseaux deBraque

 Victor Hugo

En dehors de Richepin, Vinau cite aussi le Victor Hugo de Ceux qu'on foule aux pieds  paru dans le recueil L'année terrible et ce versIls sont votre épouvante et vous êtes  leur crainte, (qui servit de titre à un roman de Thierry Jonquet) est une défense des communards dont Victor Hugo réclame l'amnistie.



A ceux qu'on foule aux pieds (extrait)

 



Oh ! je suis avec vous ! j'ai cette sombre joie.
Ceux qu'on accable, ceux qu'on frappe et qu'on foudroie
M'attirent ; je me sens leur frère ; je défends
Terrassés ceux que j'ai combattus triomphants ;
Je veux, car ce qui fait la nuit sur tous m'éclaire,
Oublier leur injure, oublier leur colère,
Et de quels noms de haine ils m'appelaient entre eux.
Je n'ai plus d'ennemis quand ils sont malheureux.
Mais surtout c'est le peuple, attendant son salaire,
Le peuple, qui parfois devient impopulaire,
C'est lui, famille triste, hommes, femmes, enfants,
Droit, avenir, travaux, douleurs, que je défends ;
Je défends l'égaré, le faible, et cette foule
Qui, n'ayant jamais eu de point d'appui, s'écroule
Et tombe folle au fond des noirs événements ;
Etant les ignorants, ils sont les incléments ;
Hélas ! combien de temps faudra-t-il vous redire
À vous tous, que c'était à vous de les conduire,
Qu'il fallait leur donner leur part de la cité,
Que votre aveuglement produit leur cécité ;
D'une tutelle avare on recueille les suites,
Et le mal qu'ils vous font, c'est vous qui le leur fîtes.
Vous ne les avez pas guidés, pris par la main,
Et renseignés sur l'ombre et sur le vrai chemin ;
Vous les avez laissés en proie au labyrinthe.
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte ;
C'est qu'ils n'ont pas senti votre fraternité.
Ils errent ; l'instinct bon se nourrit de clarté ;
Ils n'ont rien dont leur âme obscure se repaisse ;
Ils cherchent des lueurs dans la nuit, plus épaisse
Et plus morne là-haut que les branches des bois ;
Pas un phare. A tâtons, en détresse, aux abois,
Comment peut-il penser celui qui ne peut vivre ?
En tournant dans un cercle horrible, on devient ivre ;
La misère, âpre roue, étourdit Ixion.
Et c'est pourquoi j'ai pris la résolution
De demander pour tous le pain et la lumière.

Exécution des Communards par les Versaillais


Arthur Rimbaud



 Il y aussi le Rimbaud de la Faim dans Alchimie du verbe : Mangez les cailloux que l'on brise/ Pain semé dans les vallées grises."






Alchimie du Verbe

— 
Delaunay





Faim
 
Si j’ai du goût, ce n’est guère 
Que pour la terre et les pierres.Je déjeune toujours d’air,
De roc, de charbons, de fer.
Mes faims, tournez. Paissez, faims,
Le pré des sons.
Attirez le gai venin
Des liserons.
Mangez les cailloux qu’on brise,
Les vieilles pierres d’églises ;
Les galets des vieux déluges,
Pains semés dans les vallées grises.



Jules Vallès


et bien sûr l'Insurgé de Jules Vallès que je ne suis pas étonnée de trouver  dans les bagages de Thomas Vinau.

 La dédicace du livre est en soi un  programme:








Aux morts de 1871
À TOUS CEUX
qui, victimes de l’injustice sociale,
prirent les armes contre un monde mal fait
et formèrent,
sous le drapeau de la Commune,
la grande fédération des douleurs,
Je dédie ce livre.



Dans L'Insurgé, le troisième livre de la trilogie de Jules Vallès, Jacques Vingtras prend le parti de la commune de Paris en 1871. Vaincus  par les Versaillais, les communards sont massacrés, sommairement exécutés dans les rues de la capitale. Le héros de l'Insurgé parvient cependant à s'enfuir.
"C'est fini! Nous avons saigné et pleuré pour toi. Tu recueilleras notre héritage. Fils des désespérés, tu seras un homme libre !"


 

Et André Dhôtel ...

 "Ces lieux étaient  livrés à un désordre magnifique"

Dans Le pays où l'on n'arrive jamais, le personnage principal d'André Dhôtel est un Gaspard comme le jeune garçon de Le camp des autres et comme le fils de Thomas Vinau. Tiens, tiens !




La Marraine littéraire de ce roman est Moka blog Au milieu des livres ICI

 Merci à Price Minister et aux éditions Alma.

mercredi 18 octobre 2017

Colson Whitehead : Underground Railroad



Cora, seize ans, est esclave sur une plantation de coton dans la Géorgie d’avant la guerre de Sécession. Abandonnée par sa mère lorsqu’elle était enfant, elle survit tant bien que mal à la violence de sa condition. Lorsque Caesar, un esclave récemment arrivé de Virginie, lui propose de s’enfuir, elle accepte et tente, au péril de sa vie, de gagner avec lui les États libres du Nord.
De la Caroline du Sud à l’Indiana en passant par le Tennessee, Cora va vivre une incroyable odyssée. Traquée comme une bête par un impitoyable chasseur d’esclaves qui l’oblige à fuir, sans cesse, le « misérable cœur palpitant » des villes, elle fera tout pour conquérir sa liberté.
L’une des prouesses de Colson Whitehead est de matérialiser l’« Underground Railroad », le célèbre réseau clandestin d’aide aux esclaves en fuite qui devient ici une véritable voie ferrée souterraine, pour explorer, avec une originalité et une maîtrise époustouflantes, les fondements et la mécanique du racisme.
À la fois récit d’un combat poignant et réflexion saisissante sur la lecture de l’Histoire, ce roman, couronné par le prix Pulitzer, est une œuvre politique aujourd’hui plus que jamais nécessaire.  (Quatrième de couverture)

Colson Whitehead

Le roman de Colson Whitehead couronné par de nombreux prix a ceci de bon, à l’époque où  le racisme et les haines ancrées se réveillent aux Etats-Unis, libérées par un président irresponsable, de rappeler ce qu’était l’esclavage. L’horreur vécue par ces africains prisonniers, survivant avec peine  au fond des cales d’un négrier, puis, vendus, privés de liberté, traités comme du bétail, subissant des sévices, séparés de ceux qu’ils aiment, risquant leur vie s’ils apprenaient à lire, les femmes violées par les maîtres blancs et servant de reproductrices.  Je pensais tout savoir sur l’esclavage des noirs  pour avoir beaucoup lu à maintes reprises des oeuvres parlant de ce commerce abject d’êtres humains mais Colson Whitehaed m’en apprend encore. Par exemple les expériences médicales menées sur des esclaves servant de cobayes et le programme d’eugénisme mis en place par des hôpitaux dans certains états comme la Caroline du Sud. Il a aussi le courage de décrire comment les esclaves noirs ainsi maltraités finissent par perdre leur humanité et par instaurer la loi du plus fort dans les plantations, et ainsi ajouter à la violence de l’esclavage, une autre sorte de domination tout aussi brutale. Non seulement Cora doit défendre son petit bout de terre au péril de sa vie mais elle est violée par des hommes esclaves comme elle.
L’écrivain montre aussi le courage d’une minorité de blancs qui risque sa vie pour sauver les esclaves en les acheminant vers le Nord dans ce que l’on a appelé métaphoriquement le chemin de fer souterrain. Que Colson Whitehead matérialise le chemin de fer parce c’est l’image qu’il en avait enfant, n’apporte rien au roman, je trouve, même pas un peu de fantastique, car l’imaginaire ici cède le pas au réalisme. Le chemin ainsi concrétisée est seulement peu crédible.

Le roman est bon et présente de nombreuses péripéties intéressantes. Le récit est bien raconté et documenté mais je dois dire qu’il n’a pas l’envergure et l’originalité, la voix unique de Beloved de Toni Morrisson qui reste pour moi un chef d’oeuvre et que je vous conseille vivement de lire si ce n’est déjà fait.


lundi 16 octobre 2017

Victor Hugo : La forêt mouillée



La forêt mouillée  de Victro Hugo appartient au recueil de Théâtre en liberté. C’est une comédie en un acte écrit en 1854 pendant l'exil de Hugo à Guernesey et qu'il n'a pas jugé assez bonne à publier ! J'avoue  que je suis assez d'accord avec lui ; j’ai du mal à en voir l’intérêt si bien que je n’ai pas grand chose à en dire !
 Hugo montre ici un homme ridicule que la nature accable de sarcasmes. Le personnage Denarius (qui signifie denier et rime avec niais) «sous des apparences de contemplateur, est à l’évidence un grotesque qui se méprend entièrement sur la réalité de la vie naturelle.»  Son lyrisme est entaché de pédantisme et la nature n’a de cesse de se moquer de lui.

et cela donne ceci  :

Denarius :
Yeux purs qui vous ouvrez dans l’ombre au bleu  matin,
Douces fleurs, je ne veux aimer que vous.

Choeur des fleurs
Crétin !

Une pierre
Fossile !

L’âne
Âne !

Une grenouille
Crapaud !

Les fleurs
Porte ailleurs tes semelles !

Je sais bien que Hugo voulait écrire une comédie à la Shakespeare et que ces papillons et fleurettes qui parlent peuvent rappeler Le songe d'une nuit d'été mais on est loin de la poésie du Songe et la réflexion ne va pas aussi loin.
Le thème traité est léger, presque inexistant : Denarius n’a jamais été amoureux et a horreur des femmes qu’il accable de sarcasmes. Apparaît dans la forêt Balminette accompagnée de madame Antioche qui discutent de leur protecteur respectif. Balminette a trouvé « un vieux », riche, qui lui promet une vie somptueuse. Elle est décidé à abandonner son amant en titre Monsieur Oscar qui est pauvre.
Denarius s’amourache d’elle au premier regard. Ainsi, lui qui méprisait les femmes tombe amoureux à première vue d’une grisette vénale et sans coeur. Il s'agit donc d'une satire de ce genre d'homme qui feint d'aimer la Nature mais ne la comprend pas et qui affirme ne pas s'intéresser aux femmes mais ne les connaît pas ! Evidemment, il s'agit d'une réminiscence transposée du Songe de la nuit d'été, pièce dans laquelle la reine des Fées, Titania, tombe amoureuse d'un homme à tête d'âne.

Peut-être la pièce aurait-elle dû avoir une suite ? Telle qu’elle est, elle s’arrête là. Et il me semble que c’est bien mince pour y trouver un grand intérêt !

La pièce n’a été mise en scène pour la première fois qu’en 1930 et l’on comprend pourquoi !

 Lecture commune avec : Margotte, Nathalie






mardi 10 octobre 2017

Jenni Fagan : Les buveurs de lumière



Merci à Aifelle pour la découverte de ce beau livre Les buveurs de lumière de Jenni Fagan paru aux éditions Métailié.

Il s’agit d’une dystopie et oui encore !  Cette rentrée littéraire en est prolixe, placée comme elle est sous le signe de la catastrophe écologique, du réchauffement, de la montée des eaux avec toutes les conséquences qui peuvent en découler. C'est la deuxième que je lis après Monde sans oiseaux.

Le lecteur est transporté au Nord de l’Ecosse, dans la ville de Clachan Fells, dans une région aux hivers déjà rigoureux en temps normal ! Mais il ne s’agit plus de normalité. Les glaces du pôle en fondant ont refroidi le gulf steam qui ne peut plus jouer son rôle régulateur. Un gigantesque iceberg aussi grand qu’un montagne s’est détaché et se dirige vers les côtes écossaises. Un épisode glaciaire qui touche le monde entier commence. Les températures ne cessent de descendre  !  Le froid, la pénurie alimentaire, l’obscurité d’une nuit démesurée…  La mort en perspective. C’est dans cette ambiance de fin de monde que vont se retrouver des personnages d’un milieu modeste, tous un peu marginaux, qui vont tenter de survivre, chacun dans leur caravane à peine mieux isolée qu’une boîte de conserve.

Et pourtant, curieusement, le livre est plein d’espoir. Il rayonne, en effet, de chaleur humaine et ceci sans jeu de mots car dans ce froid polaire ces personnages tenus à l’écart de la « bonne »  société, sont d’une grande humanité. Ainsi est Dylan, le géant déboussolé qui vient de perdre sa mère et sa grand mère et le cinéma  familial (en faillite) où s’est déroulé toute sa vie.  Tous s’acceptent malgré leur différence, leurs faiblesses, ils s’entraident, ils font front. Ils sont décidés à lutter. On  a l’impression en fréquentant cette petite poignée d’irréductibles que tout serait possible si les êtres humains le voulaient.  Pourtant vous ne trouverez aucune trace de sensiblerie ou d’utopie dans ce livre. Ce monde est dur, les gens « comme il faut »rejettent ce qui n’est pas conforme à la norme. La petite Stella l’apprend à ses dépens d’une manière bien cruelle.. Et l’on meurt de froid dans la neige.

Et puis, autre source de bonheur dans ce roman,  la beauté  incroyable de la nature. Au moment où elle tue, elle expose les merveilles de ses arbres gelés, encapuchonnés de neige, de ses pénitents de glace, sa forêt de stalactites rutilantes, ses aurores boréales, ses trois soleils brillant faiblement dans le ciel. Un monde de blancheur scintillant, une profusion de beautés que le style poétique de l’écrivaine nous met sous le nez comme pour nous dire que la Terre est si belle qu’elle ne doit pas disparaître.


samedi 7 octobre 2017

Julien Gracq : Carnets du grand chemin



Je suis en train de lire Julien Gracq et je découvre cette description que je trouve si belle et qui me touche par la simplicité et la précision du style et l'acuité de l'observation. Je la partage avec vous : 



Printemps dans la forêt. Dans le berceau des touffes d’aiguilles neuves dont la nuance au soleil matinal est le vert pâle et comme givré des feuilles du mimosa, les jeunes pommes de pin en formation ont pour le moment la consistance granuleuse et presque la couleur d’un paquet d’œufs de saumon.
            Je me promène le long de la plus haute crête de ce massif de dunes forestier. Du côté de l’ouest, la mer à l’horizon apparaît en festons isolés dans les échancrures du tapis grumeleux que mon œil surplombe ; le bleu lavé, évanescent, le vert pelucheux, argenté comme le duvet qui vêt la coque de l’amande, prennent sous le soleil de dix heures une immobilité, une fixité contemplative de lavis chinois qui ne semble pas appartenir à nos climats : je marche dans une forêt du pays du Matin Calme. De temps en temps, une pomme de pin, à quelques mètres devant moi, percute le tapis d’aiguilles avec un choc mat : peu de promeneurs y prêteraient attention, mais dix ans de familiarité avec la pinède me font dresser l’oreille : une pomme de pin en sève ne choit pas d’elle-même, une pomme de pin sèche n’a pas cet impact alourdi. Je ramasse la pomme, et je distingue à la base l’éraflure fraîche des incisives aiguës. Ni le bruit clair des griffes sur l’écorce, ni le geignement hargneux de la grimpée n’ont signalé de fuite : la bête est là encore, tapie de toute sa longueur derrière une branche. Il me faut parfois trois ou quatre minutes pour distinguer le bout de queue révélateur qui dépasse, ou le museau pointu avec l’œil rond qui guette de profil : vérification faite – avec la sagacité comblée et discrète de Derzou Ouzala dans sa taïga – je m’éloigne sans déranger plus longtemps l’animal menu dont le cœur doit battre si vite.

                                           Extrait de Carnets du grand chemin

lundi 2 octobre 2017

Hans Christian Andersen : Les contes

Symbole de Copenhague : La petite sirène (source)

Pour cette Lecture commune du challenge Littérature nordique de Margotte, Hans Christian Andersen est à l’honneur avec ces contes qui, disait-il, ne s’adressent pas qu’aux enfants.
C’est dans la sélection réalisée par Garnier Flammarion que je vous présente ces textes choisis parmi les plus célèbres. Il y en a douze dans cette édition mais l’auteur en a écrit 136 en tout si bien que j’en connais fort peu finalement. Une vingtaine peut-être ? De même les romans d’Andersen sont peu lus en France bien que traduits dans notre langue et j’espère que le beau Challenge nordique de Margotte va nous permettre de combler ces lacunes.

Le petite Poucette

Quant à moi, j’avais déjà une prédilection pour les contes d’Andersen quand j’étais enfant, de La petite sirène, cette histoire d’amour triste et idéalisée, au Vilain petit canard, récit autobiographique de l’auteur, dont je trouvais la fin si consolante lorsqu’il devenait un beau cygne. Et puis, il y avait la quête onirique et poétique de la courageuse petite Gerda pour arracher Kay au baiser mortel de la Reine des neiges… Voilà pour les trois contes que je préférais. Mais j’aimais aussi beaucoup La petite fille aux allumettes dont j’ai appris, plus tard, qu’elle était un hommage d’Andersen à sa grand-mère, petite fille pauvre qui souffrait de la faim dans les rues de la grande ville, et La petite Poucette dont les épreuves finissent lorsqu’elle devient la reine des fleurs.
Enfin, je viens de lire pour la première fois pour ce challenge La Vierge des glaciers qui entre désormais dans mes coups de coeur. Ce sont les oeuvres dont je vais parler ici.

 Je laisserai de côté les autres textes car si La princesse au petit pois m’amusait, j’appréciais moins Le Briquet, La Malle volante, tirés des Mille et une nuits et les Habits de l’Empereur qui sont d’une autre veine..

La poésie du Grand Nord 

 

La reine des neiges illustration  Elena Ringo

C’est assez facile pour moi de répondre à la question :  pourquoi j’aimais tant ces contes quand j’étais enfant ? Oui, pourquoi ? J'éprouve toujours les mêmes impressions en les relisant adulte et je peux maintenant les analyser.

Dans tous mes contes préférés, je suis sensible à la poésie de l’écriture. La nature joue un si grand rôle qu’elle fait partie du récit, non seulement en lui servant de cadre mais aussi en le façonnant, en agissant sur le cours des évènements. Elle porte souvent le sens du texte.
C’est une poésie venue du Nord, faite de neige et de glace, de grands forêts et d’étendues d’eau gelée. La description du froid, de la glace et de la neige est à la fois réaliste mais aussi transfigurée, magnifiée, et se révèle symboliste comme celles des tableaux de Gustav Faejstad, peintre suédois.

Gustav Faejstad

Andersen choisit parfois de peindre le monde vue du haut, de très loin, et la vision prend une dimension cosmique : 

Ils passèrent par dessus les bois, les lacs, la mer et les continents. Il entendirent au-dessus d’eux hurler les loups, souffler les ouragans, rouler les avalanches. Au-dessus volaient les corneilles aux cris discordants. Mais plus loin brillait la lune dans sa splendide clarté. Kay admirait les beautés de la  longue nuit d’hiver. Le jour venu, il s’endormit aux pieds de la Reine des neiges.  La Reine des neiges

ou bien il décrit les choses comme vues au microscope et tout devient d’une irréelle et magique beauté.

Près de la forêt se trouvait un  grand champ de blé, mais on n’y voyait que le chaume hérissant la terre gelée. Ce fut pour la pauvre petite comme une nouvelle forêt à parcourir.  La petite Poucette

Les flocons tombaient de plus en plus drus; ils devenaient des poules blanches aux plumes hérissées.  La Reine des neiges

La neige resplendissait sous les regards; elle faisait étinceler des milliers de diamants aux reflets blancs et bleus. La Vierge des glaciers

Et oui, l’univers d’Andersen est d’une grande beauté et parle à l’imagination mais il se révèle impitoyable aux hommes. La Nature leur rappelle leur fragilité, leur petitesse et souvent leur outrecuidance quand ils osent la défier. C’est particulièrement vrai dans La Vierge des glaciers où tous les éléments de la nature, l’eau du lac, le vent de la montagne, le terrible Foehn, les avalanches, la glace, la neige sont autant de pièges tendus à l’homme.

Les Forces de la nature : des êtres immatériels

 

La petite sirène et la sorcière

Les Forces de la nature sont à l’oeuvre dans les contes d’Andersen sous forme d’entités féériques. Qu’elles représentent le Mal ou le Bien, elles sont le reflet de l’imagination du conteur nourri de contes mais aussi de sa foi dans l’au-delà et l’âme immortelle.

Les plus puissantes, les plus terrifiantes de ces incarnations de la Nature mais aussi les plus belles sont celles du froid  : la Reine des neiges et la Vierge des glaciers. Il est vain, semble-t-il de vouloir les défier, encore plus de croire leur échapper.

Dans l’intérieur du glacier, il y a des cavernes immenses, des crevasses qui pénètrent jusqu’au coeur des Alpes. C’est un merveilleux palais. Là, demeure la Vierge des glaciers, reine de ce sombre domaine. Elle se plaît à détruire, à écraser, à broyer.

Tout d’un coup le traîneau tourna de côté et s’arrêta. La personne qui le conduisait se leva : ces épaisses fourrures qui la couvraient étaient toutes de neige d’une blancheur éclatante. Cette personne était une très grande dame : c’était la Reine des Neiges.

Toutes deux sont très séduisantes et il est difficile de leur résister. Le petit Kay qui reçoit les baisers de la Reine n’est pas de taille à lutter :
Le baiser était plus froid que la glace et lui pénétra le coeur déjà à moitié glacé.

Quant à Rudy, le montagnard de La Vierge des glaciers, chasseur de chamois, capable d’escalader les pics les plus hauts, insensible au vertige et à la peur, il est capable de lui tenir tête à plusieurs reprises. Il est prêt à succomber  lorsqu’elle cherche à le séduire :

Elle était fraîche et blanche, comme la neige qui vient de tomber du ciel; elle était gracieuse comme un bouquet de roses des Alpes, svelte et légère comme un jeune chamois.

Mais il ne sera vaincu finalement que par un force supérieure, Dieu, qui se sert de la Vierge pour servir ses desseins.

Dans La petite sirène, les forces du Mal sont incarnées par la sirène sorcière qui la pousse au crime.

Mais il y a aussi des esprits légers, joyeux ou compatissants, qui aident et encouragent et permettent aux héros de surmonter leurs épreuves :

Les filles de l’air de la petite sirène, les filles du soleil qui veillent sur Rudy et Babette, le génie des fleurs qui accueille Poucette dans son royaume, les petit anges nés de la vapeur qui sort de la bouche de Gerda et se transforment en guerriers pour lutter contre la Reine des neiges.

Fantastique et réalisme

 

La petite Gerda, la petite brigande et le renne

Hans Christian Andersen est un écrivain romantique, il aime le conte fantastique, le merveilleux. Mais contrairement à la plupart des romantiques français, son style n’est ni grandiloquent, ni lyrique. Au contraire il aime les phases courtes et sobres. Sous la simplicité apparente, sous l’élégance de la phrase se cache pourtant un art savant. Ce qui fait le charme et l’originalité de son écriture, c’est le mélange entre le fantastique et le réalisme des décors.
On sait que Hans Christian Andersen qui était un grand voyageur s’est rendu célèbre pour ses récits de voyage. Or, il place l’histoire de La Vierge des glaciers dans les Alpes suisses. Les lieux sont décrits avec une grande précision. Nul doute que c’est un pays qu’il connaît bien puisque de 1850 à 1860 il se rend presque chaque année en Suisse ou en Allemagne. Et pourtant les sortilèges de la Vierge des glaciers parent ces montagnes d’une aura fantastique.


La Vierge des glaciers et ses sortilèges

Dans La Reine des neiges l’auteur nous amène jusqu’au coeur du Finnmark chez les finlandais et les lapons et si le renne est un personnage magique, il appartient malgré tout à la réalité économique du pays. De même le vilain petit canard se meut dans un paysage  nordique réel, (le Danemark peut-être ? ) et  la scène avec les enfants dans la cabane des paysans  quand il renverse le lait et se réfugie dans la baratte pourrait figurer dans une scène de la vie quotidienne. Ainsi coexistent le réel et l’imaginaire. Andersen va encore plus loin lorsqu’il utilise les objets, les plantes, les animaux familiers de la ferme ou du ciel, en les faisant parler et en les dotant de pouvoirs magiques. Le chat de Rudy lui enseigne à ne jamais avoir peur du vide; le hanneton, l’hirondelle, le crapaud, la taupe jouent un grand rôle dans la vie de Poucette, les fleurs racontent leur histoire à la petite Gerda…



Le sens des contes

 

L'amour sincère de Gerda et Kay illustration de Arthur Rackam
Quand j’étais enfant, ce que je voulais, bien sûr, c’est que les contes d’Andersen "finissent bien". C'était le cas avec Le vilain petit canard,  la Reine des neiges, la petite Poucette. Par contre, La Petite sirène, la petite fille aux allumettes "finissaient mal" et je ressentais violemment la tristesse et la mélancolie qui s’en dégageaient. J’aurais pensé la même chose de La Vierge des glaciers si je l’avais lu alors. Il y avait les contes joyeux et les contes tristes mais je les aimais tous.
A présent je me rends compte que  les réponses de Christian Andersen sont de deux sortes, l’une laïque, l’autre spirituelle mais toutes sont positives à ses yeux.

 Une réponse laïque :

Ainsi La Reine des neiges propose un dénouement heureux possible grâce à l’amour et au dévouement de la petite Gerda et à la solidarité des personnages qui lui viennent en aide. L’amour, la pureté, la sincérité des sentiments sont donc la réponse possible au Mal, encore que Gerda ait bien besoin de temps en temps d'un coup de pouce de Dieu.
Dans Le vilain petit canard, c’est l’endurance et le courage du petit canard qui rendent possible sa transformation en cygne. Ce conte initiatique sur la différence et le rejet dit aux enfants qu’il faut savoir affronter les chagrins et les difficultés de la vie et qu’ils en obtiendront un jour une récompense. Poucette, elle, est récompensée des soins qu’elle a prodiguées à l’hirondelle. Telle Perséphone enlevée à sa mère, sommée d’épouser la Taupe, créature souterraine de la nuit, elle se retrouve, après avoir séjourné aux Enfers, sur la terre, au printemps, au milieu des fleurs. 

Une réponse spirituelle

La petite sirène, La Vierge des glaciers et La petite fille aux allumettes se terminent par la mort du personnage. Et pourtant ces textes pour le religieux Andersen, fort dans sa foi en Dieu et dans sa croyance en une vie après la mort, se révèlent pleins d'espoir.
La petite sirène meurt après avoir renoncé, pour se sauver, à tuer son bien-aimé, le prince. C’est un acte d’amour. Sa récompense n’est pas sur terre mais dans les cieux. C’est pourquoi les filles de l’air viennent la chercher pour l’amener avec elles. Elle gagnera ainsi une âme immortelle, à la différence des sirènes qui n’en ont pas ! Il en est de même de la petite fille aux allumettes qui voit, avant de mourir, toutes sortes de visions merveilleuses dont celle de sa grand-mère qui vient la chercher. Promesse d’un autre monde où règne la paix et la douceur.
Mais la foi de l’auteur et l’espoir d’une autre vie sont encore plus explicitement formulés dans le conte de La Vierge :

N’est-ce pas un bonheur que de passer ainsi de l’amour sur terre aux pures joies du ciel, comme d’un seule bond ? Le baiser glacé de la mort avait anéanti une enveloppe périssable: un être immortel en sortit, prêt à la vie véritable qui l’attendait. La dissonance de la mort se résolvait en une harmonie céleste.
Appelez-vous cela une histoire triste ?

Pour tout vous dire, ma réponse est oui ! oui, c’est un histoire triste ! En bonne athée, j’ai peu changé depuis l’enfance ! Mais je suppose qu’un croyant doit avoir une autre opinion ! C’est le cas d’Andersen !

Voilà! Je finis sur ces mots !  Je ne voulais écrire que quelques lignes sur ces contes mais ils sont tellement envoûtants que je me suis laissée entraîner. Ma lecture d’adulte rejoint celle de mon enfance. On peut aimer les contes d’Andersen à n’importe quel âge, quelle que soit l’époque. Ils sont des  chefs d’oeuvre de la littérature universelle.






samedi 30 septembre 2017

Junko Shibuya : Au bureau des objets trouvés


Au bureau des objets trouvés de Junko Shibuya aux Editions Actes Sud junior

Monsieur Chien travaille au bureau des objets trouvés. Toute la journée, il attend que les propriétaires viennent récupérer leurs biens.
Voici d’abord une limace. Pas du tout, c’est l’escargot qui a égaré sa maison.

 C'est ainsi que les animaux défilent devant lui à la recherche de ce qui les caractérise, affolés pour certains d'avoir égaré un accessoire indispensable pour découvrir leur véritable identité !

Les jeunes lecteurs comprennent bien vite qu'il ne faut pas se fier à l'apparence et cherchent à deviner qui est réellement devant eux  : un chat? un ours, un souris? vraiment? Non rien de tout cela !

j'ai trouvé l'histoire pleine d'humour et les dessins astucieux qui font voir autre chose que ce qui est ! Mais le plus amusant, je crois, c'est le dénouement qui réserve une surprise que je ne vous révèlerai pas ici!

Un petit livre malicieux à partir de 3 ans.

avis de mon petit-fils Liam (4 ans)

J'ai aimé quand la limace devient un escargot ou que le chat est un lion parce que le chien lui donne une écharpe.

lundi 25 septembre 2017

Emily Fridlund : Une histoire des loups


Madeline, adolescente un peu sauvage, observe à travers ses jumelles cette famille qui emménage sur la rive opposée du lac. Un couple et leur enfant dont la vie aisée semble si différente de la sienne. Bientôt, alors que le père travaille au loin, la jeune mère propose à Madeline de s’occuper du garçon, de passer avec lui ses après-midi, puis de partager leurs repas. L’adolescente entre petit à petit dans ce foyer qui la fascine, ne saisissant qu’à moitié ce qui se cache derrière la fragile gaieté de cette mère et la sourde autorité du père. Jusqu’à ce qu'il soit trop tard.(Quatrième de couverture)

Je le dis tout de suite, j’ai eu du mal à entrer dans le livre d' Emily Fridlund  Une histoire des loups. En effet, l’atmosphère  qui règne dans ce coin des Etats-Unis, cette région des Grands Lacs, paradis des pêcheurs, « capitale mondiale du doré jaune » est rien moins que plaisante. Paradoxalement, on  étouffe dans ces grands espaces naturels voués au froid et à la solitude dès novembre quand les lacs sont gelés. Les personnages et les rapports humains y sont pesants.
La structure du roman a compté, aussi, je pense, dans la difficulté que j'ai eue d’adhérer au récit. La composition est complexe avec des retours en arrière dans  l’enfance de Madeline et de la communauté religieuse  dans laquelle elle a vécu. Tous les moments du passé, du présent et du futur se chevauchent, l’école, sa vie d’adulte, ses moments avec les Gardner, ses études, son travail… C’est parfois un peu trop touffu et détourne de l’action mais l’écrivaine mène sur différents fronts toutes ces temporalités avec une grande maîtrise.

J'ai cependant fini par apprécier ce roman grâce à son écriture suggestive, jamais vraiment rationnelle, qui laisse deviner ce qu’il y a derrière les apparences. Tout au long du roman l'on sent en effet que des choses nous échappent comme ils  échappent à la narratrice, Madeline. On a l’impression parfois que les faits sont faussés, qu’il y a une sorte de distorsion entre la réalité et ce que voit ou comprend l’adolescente. Dans l’intrigue principale, les portraits des personnages de la maison du lac, le petit Paul Gardner, sa maman Patra et son père Léo, introduisent une sorte de malaise inexplicable au premier abord. Tout est un peu flou au début et ce n’est que peu à peu que la  mise au point se précise.
De même que se passe-t-il avec le professeur de Madeleine, Mr Grierson, et une élève de la classe, la jolie Lily, intrigue que l’on pourrait qualifier de secondaire, mais qui court en filigrane tout au long des pages ?
Cet art de la suggestion m’a rappelé - un peu- la manière de Laura Kashishke dans  Esprit de l’Hiver.  Mais la comparaison s’arrête là.

L’histoire est intéressante, les thèmes traités sont passionnants, qui mettent en cause la société américaine avec les superstitions, les obscurantismes liés à la religion. L’on peut y ajouter l’inégalité sociale, la pauvreté, la mise à l’écart de ceux qui ne sont pas conformes, la dureté des relations humaines. Et puis il y a, bien sûr,  -c’est un roman paru chez Gallmeister-, la présence de la nature, à la fois belle et rigoureuse, du canotage et de la pêche sur les grands lacs, et le passage des saisons.
Ce roman témoigne d’un réel talent et malgré les restrictions que j’ai évoquées, c’est une oeuvre qui mérite d’être lue. Quant aux loups, je vous laisse les découvrir !