Pages

mercredi 24 septembre 2008

Le Baiser de Caïn de John Connolly

John Connolly (à ne pas confondre avec Connelly!) est un auteur irlandais reconnu comme l'un des maîtres du roman noir... à l'américaine.

Ma foi, le sujet m'avait attirée ainsi libellée sur la quatrième de couverture : "Quand Charlie Parker reçoit un appel au secours de l'avocat Elliot Norton, avec qui il travaillait lorsqu'il faisait partie de la police de New York, il hésite à descendre en Caroline du Sud pour l'aider dans une affaire qui s'annonce difficile : Artys Jones, le client de Norton, un noir de dix-neuf ans, est accusé du meurtre de Marianne Larousse, une jeune femme blanche, fille de l'une des plus grosses fortunes de l'Etat, descendants d'anciens propriétaires esclavagistes..
Quoi! A l'époque où les américains se préparent -peut-être- à élire un président noir, on peut encore écrire sur un sujet pareil tout droit sorti d'un  roman de Caldwell ou d'un livre d'anthologie comme " Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur!"? Et bien oui! Le livre est un moyen de découvrir l'activisme des milieux néo-nazis, racistes, porteurs d'armes, Skinheads, membres du Klan et "divers petits nazillons": "Le mouvement raciste militant n'a jamais été particulièrement important en nombre, écrit John Connolly. Son noyau dur compte probablement vingt-cinq mille  membres au maximum auquel il faut ajouter cent cinquante mille sympathisants actifs, et peut-être quatre cent mille sympathisants "du bord de route "qui ne donnent ni leur argent,  ni leur temps mais vous parleront de la menace que les gens de couleur et les juifs constituent pour la race blanche... " Pas beaucoup? peut-être! à l'échelle des Etats-Unis mais assez pour justifier le sujet du livre, le baiser de Caïn.
Le récit contemporain qui raconte l'histoire de Artys Jones et Marianne Larousse est mis en correspondance avec le passé montrant les liens qui unissent la famille Jones à celle des Larousse, dont la première a été au cours des siècles, esclave et victime de l'autre. Ce roman pourrait donc être intéressant. Seulement voilà, l'auteur cède à la mode actuelle qui veut que l'on ne puisse se passer de psychopathes, de viols, de violences, de perversité  etc... Or des psychopathes dans cette histoire, il en pleut, on pourrait les ramasser à la pelle comme les feuilles mortes et l'auteur surenchérit sur Sade d'une telle manière que celui-ci apparaît comme une petit plaisantin inoffensif à côté des Kittim, Faulkner, Cyrus, Tereus, personnages du roman. Il faut y ajouter, encore pour faire bon poids, bonne mesure, une bande de violeurs pas piqués des vers, sans compter "les gentils", Louis, Angel, Charlie Parker, qui sont plutôt patibulaires et  à qui il vaut mieux ne pas marcher sur les pieds! Enfin, si ce n'est pas assez, l'auteur est toujours prêt à en rajouter une couche!
Et c'est bien dommage car il y a parfois dans ce roman, des pages qui ont une telle force, que l'on ne peut s'empêcher de se dire que John Connoly a un réel talent.

dimanche 21 septembre 2008

Cherry Blossoms de Doris Dörrie

 

cherry-blossoms.1222021779.jpg

Cherry Bossoms est un film allemand de Doris Dörrie...

Il raconte l'histoire d'un homme qui après la mort de sa femme  prend conscience qu'il n'a pas su la connaître vraiment et qu'il l'a étouffée par son égoïsme, par son impossibilité de donner vie aux rêves, à l'imagination. Or le rêve de la vieille dame, c'est le Japon avec ses cerisiers en fleurs, le Mont Fuji et la danse Buto. Une image cliché du Japon, certes, mais qu'elle n'a pas  pu confronter à la réalité. Le vieil homme part donc au Japon pour réaliser le rêve de sa femme et la retrouver par delà la mort. Il est aidé dans sa quête par une jeune japonaise, danseuse de buto, avec qui il part à la recherche des ombres. Une initiation qui donne lieu à de belles scènes imprégnées d'une poésie certaine.
Voilà le résumé un peu simpliste du film qui part aussi dans d'autres directions et traite non seulement de la vieillesse, de la mort, de l'incompréhension des êtres proches, de l'indifférence dans les rapports humains, de la solitude, des rapports enfants-parents, frères-soeurs,  mais aussi de l'opposition entre le Japon moderne et le japon traditionnel ...
Trop de choses à dire, ce qui alourdit le film, crée des longueurs, le dépouille d'une ligne mélodique pourtant belle au départ.
La mise en scène est  trop appuyée et pleine de répétitions : on voit plusieurs fois la photo de Karl sur la table de chevet qui prouve que sa mère le préférait aux autres, on entend plusieurs fois les conversations entre les enfants pour nous expliquer leurs griefs et leur indifférence. C'est comme si le réalisateur ne faisait pas confiance aux spectateurs et de peur qu'ils ne comprennent pas, en remettait une couche!
Et cela aboutit aussi, cette envie de tout dire, à des scènes qui ne tiennent pas psychologiquement. Pour nous montrer le Japon moderne et déshumanisé, le vieil homme assiste à des spectacles de streap tease, se retrouve avec deux prostituées etc..  Scènes gratuites! On prend bien soin de nous montrer que cela ne l'intéresse pas mais sa présence même dans de tels lieux n'est pas conforme à ce que nous savons de lui. Le pire,  quand le dénouement est consommé, c'est que le metteur en scène se croit encore obligé de nous montrer les coutumes funéraires du Japon, de revenir sur une conversation des enfants, et surtout de donner de l'argent en héritage à la danseuse de buto, ce qui détruit toute spiritualité et toute poésie. Des erreurs pareilles sont difficiles à accepter, d'autant plus que j'étais prête à aimer ce film.
Ah! que j'aurais aimé voir ce sujet traité par Kim Ki Duk, un de mes metteurs en scène préférés, avec son économie de mots et la beauté de l'image qui parle et envahit tous nos sentiments.


jeudi 18 septembre 2008

Utopia, Jar city : Kormakur/Indridason


utopia-2.1221738758.jpg

 Je suis allée voir à Utopia, le cinéma d'art et d'essai d'Avignon, le film islandais Jar City du réalisateur Baltazar Kormakur.
La Cité des jarres, pour moi, c'est d'abord le roman d'Arnaldur Indridason, auteur  plusieurs romans,  La femme en vert (mon préféré peut-être), La Voix et de L'homme du lac.

410jk263rsl_sl500_aa240_.1221745375.jpg 

J'étais donc curieuse de voir comment l'univers sombre de Indridason, son pays crépusculaire et son personnage Erlendur seraient portés à l'écran. Erlendur vient rejoindre la famille littéraire des policiers désabusés, solitaires, pessismistes, que leur métier a habitué à ne voir que le côté négatif de l'espèce humaine. Frère du Wallander de Henning Mankell, proche aussi de l'Adamsberg de Fred Vargas, il porte en lui une blessure secrète qui se révèlera peu à peu (mais pas encore dans La Cité des jarres) et qui le pousse à s'intéresser aux personnes disparus. Divorcé, il a, comme Wallander, de graves problèmes avec sa fille Eva Lind dont il n'a pas su s'occuper lorsqu'elle était enfant  et qui se drogue. C'est aussi quelqu'un qui ne sait pas parler de ses sentiments, qui est retranché dans une carapace de silence qui le fait paraître indifférent alors qu'il est plein de souffrance et d'humanité.
J'aime bien le personnage d'Erlendur et son incarnation à l'écran m'a d'abord surprise. Je l'imaginais avec un physique moins dur, plus doux, plus vulnérable.

erlendur-1.1221741297.jpg  Erlendur

Il apparaît tout d'abord comme un vieux bougon pas très commode et plutôt dictatorial envers son coéquipier. Cette dernière caractéristique apporte d'ailleurs une note d'humour bienvenue dans une histoire très noire. L'acteur est excellent et sait faire apparaître la fêlure du personnage, son incapacité à exprimer ses sentiments et ses rapports tourmentés avec sa fille. Les autres personnage sont aussi bien interprétés.


jar-city.1221741716.jpg   
Sigurdur Oli, Elinborg et  Erlendur

Le metteur en scène qui est aussi le co-auteur du scénario avec Indridason lui-même a bien su rendre l'atmosphère tragique et pesante du roman et ce que j'ai beaucoup aimé dans le film c'est la part qui est donné aux paysages islandais. L'île est un personnage à part entière car elle reflète le caractère des gens qui y vivent. Elle est filmée dans toute sa sauvage et austère beauté, avec de longues lignes droites, la platitude de ses landes jaunâtres aux herbes brûlées qui bordent une côte où s'agite la masse d'eau sombre de l'océan. L'habitat, disséminé le long de la grande route empruntée par les policiers de Reykjavik à Keflavik, corrobore cette impression de solitude. La grisaille, la neige fondue, la brume enveloppent le paysage qui n'est pourtant pas encore hivernal mais annonce la mort. Les villes avec les immeubles sombres, où la  silhouette du héros apparaît, isolée sur un balcon, dans la nuit, sont d'une tristesse infinie. Parfois la caméra aérienne fait un long travelling, au ras du sol, des terres brunes et noires, en gros plan, et l'on ne sait plus ce que l'on regarde : une sorte d'abstraction du pays islandais, semblable à la mort et à l'image du scénario. Ce que j'ai bien aimé quand Kormakur filme ces  images c'est que même si elles sont belles, elles ne sont pas esthétisantes mais toujours justifiées revenant comme un leit-motiv pendant le déroulement de l'action.

mardi 16 septembre 2008

Les cochons au paradis de Barbara Kingsolver





J'ai lu Les cochons au paradis dans la foulée, après avoir fini l'Arbre aux haricots, dont il est, en fait, la suite. Turtle a six ans; elle vit avec Taylor et Jaz, musicien de rock, très amoureux de Taylor. Mais elle passe à la télévision pour avoir sauvé un jeune homme, simple d'esprit, tombé dans le déversoir d'un barrage. Annawake, une avocate cherokee, la voit, apprend qu'elle a été adoptée illégalement par sa mère et décide de la rendre à sa tribu. Taylor s'enfuit avec sa fille qu'elle a peur de perdre. C'est sa mère, Alice, qui va rencontrer la nation cherokee pour négocier avec elle, prétexte à l'auteur pour nous présenter la réserve, les coutumes et la mentalité des indiens.
Ecrit en 1993, cinq ans après l'autre, le roman exploite des thèmes  toujours aussi généreux : dénonciation du racisme, défense des droits des indiens, procès de la misère non seulement des indiens mais aussi des travailleurs issus de classes  sociales modestes. Ainsi Taylor n'arrive pas à gagner sa vie pour élever sa fille quand elle est seule. Thème aussi de la solidarité (très forte chez les indiens) qui est le seul moyen de survivre dans un pays qui pratique le "Aide-toi le ciel t'aidera "et n'a que mépris pour ceux qui ne réussissent pas.
Mais il me paraît pourtant moins réussi que le premier. Je n'ai retrouvé qu'à certains moments la veine qui parcourt L'arbre aux haricots. Certes, il y encore quelques dialogues savoureux qui révèlent des personnages chaleureux comme celui d'Alice et de Jazz au téléphone. De temps en temps l'humour est là comme dans la scène avec l'abricotier lorsque Taylor s'efforce de chasser les oiseaux qui mangent les fruits ou lorsque tous se disputent à propos de l'organisation de la fête du mariage alors que la principale intéressée n'a pas encore dit oui... Le roman m'a fait parfois l'effet d'être un peu démonstratif et le happy end me paraît un peu trop conte de fées dans un pays qui ne s'y prête pas. Le personnage d'Annawake est conventionnel, il n'a pas la vie, la chaleur des autres et Turtle et Taylor sont moins présentes. Je n'aime pas non plus, mais là, c'est un goût personnel, l'emploi du présent de narration qui me fait l'effet d'une coquetterie stylistique. Bref, un bémol très net par rapport à L'arbre aux haricots.

lundi 15 septembre 2008

Un barrage contre le pacifique de Rithy Panh/Duras

19023094.1234719089.jpg

Il y a bien longtemps que je n'ai pas relu le livre de Marguerite Duras dont Un barrage contre le Pacifique, film franco-cambodgien, de Rithy Panh est l'adaptation. Aussi je m'étais promis de voir le film sans chercher à y retrouver à tout prix le roman. D'ailleurs, je reste persuadée que les meilleures adaptations au cinéma sont celles de réalisateurs qui, ayant compris le sens profond du livre, savent s'en éloigner pour laisser libre cours à leur propre création. Ainsi la meilleure adaptation de Madame Bovary est celle de Manoel de Olivera : Val d'Abraham qui est en fait une transposition, au Portugal, dans les années 60, du personnage d'Emma, et non celle de Vincente Minelli qui cherche à "réhabiliter" la malheureuse Emma en la transformant en héroïne romantique. Et encore moins celle de Claude Chabrol qui est pourtant une lecture (trop) fidèle et plate du roman de Flaubert!

Mais  je m'égare. Retournons à Marguerite Duras. J'étais donc prête à ne pas chercher à retrouver les détails du roman mais je pensais y rencontrer  au moins les deux personnages principaux : La femme, qui a la grandeur de Sisyphe, courageuse jusqu'à l'absurdité, admirable dans le combat inégal qu'elle mène et ...  L'Océan, à l'égal d'un Dieu, soulignant la démesure de l'héroïne. Or, de ces deux personnages, l'océan est pratiquement absent, ridicule quand il apparaît (sauf dans la scène où on l'entend sans le voir, ce qui lui donne enfin une présence!) et la femme  est vue par le petit bout de la lorgnette, mesquine dans ses petits tracas, interprétée par Isabelle Hupert  toujours froide et distante, presque à la limite du faux, quel que soit le rôle qu'elle incarne, incapable de passion et de démesure. Finalement,  ce n'est pas elle le personnage clef de l'action mais la fille Suzanne et  ses relations troubles avec le chinois qui préfigure l'Amant. Bref! Il semble que le sujet  réel du roman ait peu intéressé Rithy Panh. Et c'est bien dommage!
Quel est alors l'intérêt du film?  La beauté des acteurs incarnant José (peu convaincant pourtant, trop lisse) et Suzanne. La vision du peuple, serviteurs et paysans, accablés par le colonialisme, ceci traité d'une manière anecdotique. La beauté des paysages  et des images et, certes, à ce niveau, le film est irréprochable.  Mais aucune émotion envers ces personnages dont on suit les tribulations, à distance, d'où un certain ennui!

samedi 13 septembre 2008

L’arbre aux haricots de Barbara Kingsolver






Dès qu'on ouvre les premières pages de L'arbre aux Haricots on sent que l'on est en bonne compagnie, celle d'un écrivain qui a des choses à dire et qui les dit dans un style personnel avec des images vigoureuses et poétiques à la fois, de l'humour et de la conviction. C'est pourquoi j'ai été tout de suite accrochée par le roman.
Les thèmes abordés par l'auteur sont passionnants. Il y tout d'abord  celui de l'amour maternel entre Taylor et sa mère Alice (une femme d'une grande force morale), celui que Taylor va nouer peu à peu avec Turtle, la petite fille cherokee dont elle "hérite" bien malgré elle...
L'amitié aussi est importante et Barbara Kingsolver brosse des portraits de femmes passionnants avec leur beauté, leur faiblesse aussi. Je pense à Mattie, extraordinaire dans sa compréhension des autres et dans sa lutte pour venir en aide aux réfugiés clandestins. Lou Ann, si fragile, bousillée par une mère et une grand mère destructrices... L'auteur a une manière convaincante et chaleureuse de faire vivre tous ces personnages, de nous les faire aimer; un talent aussi pour décrire l'enfance. Turtle est un personnage attachant qui est mis en scène sans mièvrerie et avec beaucoup de tendresse..
La société américaine est présentée aussi dans ce roman avec son indifférence voire son mépris pour les pauvres, les indiens (ici les Cherokee), les réfugiés politiques  que l'on renvoie chez eux bien qu'ils soient condamnées le plus souvent à une mort certaine (beaux personnages de Estevan et Esperanza, guatémaltèques exilés, cachés par Mattie), bref, une société qui rejette tous les déshérités de ce monde.
Un très beau roman donc qui n'est pas sans me rappeler le Steinbeck de Tendre Jeudi par la tendresse et l'humanité qui émanent des personnages de classe modeste, bien souvent des exclus de la "bonne"société.
Résumé du roman :  Taylor Greer n'a qu'une idée, quitter le Kentucky au volant de sa vieille voiture délabrée, car elle ne veut pas subir le sort de toutes des filles du pays  sans travail, sans avenir, qui tombent enceintes et se marient avant même d'avoir commencé à vivre. Mais dans le désert de l'Oklahoma  à la sortie d'un bar, une femme lui "donne" une enfant, petite indienne cherokee. La voilà mère malgré elle. Elle va s'attacher à la fillette qui a subi des violences et qui s'accroche à elle comme une tortue à sa proie. D'où le nom que lui donne Taylor : Turtle. Taylor et Turtle vont s'installer dans  l'Arizona, à Tucson . Là, Taylor grâce à ces nouvelles amies, Mattie et Lou Ann, va se mettre au travail et tisser avec la petite fille des liens très forts.

Barbara Kingsolver

mercredi 10 septembre 2008

La Rivière et son secret Zhu Xiao-Mei




La Rivière et son secret, tel est le titre de l'autobiographie de Zhu Xiao-Mei, pianiste réputée, notamment pour son interprétation des variations Golberg de Bach, installée à présent à Paris et professeur au conservatoire. Elle y raconte sa jeunesse dans la chine communiste de Mao Ze Dong au moment de la révolution culturelle. Issue d'une famille aisée, elle est classée dans la catégorie des "Chuschen Buhao", "êtres de mauvaise origine" et est envoyée dans des camps de rééducation.
Le récit est passionnant à lire d'abord parce qu'il nous renseigne d'un point de vue historique et documentaire sur cette époque sinistre de la révolution culturelle qui a fait des millions de morts, qui a poussé beaucoup d'innocents au suicide et a brisé sur le plan moral de nombreuses personnes. D'autre part, comme il s'agit d'un récit vécu que l'on peut lire comme un roman, on se trouve impliqué avec le personnage; on comprend par l'intérieur l'engrenage dans lequelle elle est prise comme chacun des membres de sa famille et comment un régime dictatorial finit toujours par broyer l'individu.
"Je me raisonne, je me dis que j'étais jeune, et par conséquent sensible à toutes forme de propagande. C'est vrai (..) mais il n'y a pas eu que les étudiants; des centaines de millions de Chinois se sont laissés embrigader, plus âgés et bien plus au fait des choses de la vie que nous. Cela n'a rien empêché, en Chine comme dans tous les autres  pays qui ont connu le joug totalitaire. Je cherche à comprendre comment les idées généreuses du communisme ont pu aboutir à un tel désastre, comment pendant de longues années, j'ai pu ne rien voir, ne rien vouloir croire. En vain; je ne comprends pas. La Révolution culturelle m'a salie, elle a fait de moi une coupable."
Zhu a 13 ans, elle est au conservatoire de musique quand a lieu la révolution culturelle. Les musiciens occidentaux, Bach, Beethoven, Schumann etc.. sont considérés comme décadents; il en est de même des écrivains. Le régime brûle les partitions et les livres, interdit aux étudiants de jouer cette musique. La jeune fille est obligée de faire son autocritique et est encouragée comme chacun de ses camarades à dénoncer son voisin. Pour ne pas être rejetée, elle s'implique dans la révolution et le culte de Mao. Elle croit à l'idéal révolutionnaire et perd tout sens critique envers les excès du régime. Peu à peu, de camp en camp, et grâce à l'amour et à la puissance de la musique, elle échappera à ce lavage de cerveau et, dans une lente remontée, émergera à la conscience. Elle émigre ensuite aux Etats-Unis, puis en France où avec l'aide et le soutien d'amis qui admirent son talent, elle finira par être reconnue en tant que musicienne.
C'est la seconde partie du livre qui décrit ses difficultés d'abord matérielles - elle est  obligée de faire toutes sortes de petits boulots qui l'empêche de  se consacrer à son art- et psychiques : on ne guérit jamais du totalitarisme. Obligée tant de fois à faire son auto-critique, Zhu Xiao-Mei n'a aucune confiance en elle, se dévalorise, ne cesse d'avoir des doutes sur elle-même. Elle porte aussi l'extrême culpabilité d'avoir dénoncé ses amis et ce manque de confiance s'étend aux autres. En Chine, à l'époque de Mao,  l'ami, le voisin, le parent même, c'est celui qui peut à tout moment vous livrer aux autorités, vous envoyer à la mort ou dans un camp. Le moment où elle revoit son père, après la réussite de sa carrière  à Paris, illustre tristement cette vérité. Lorsqu'elle l'accompagne sur la tombe de son ami, il lui dit :
"-Lao Xue est la seule personne qui m'a fait confiance pendant la révolution culturelle. C'est glaçant à dire mais c'est vrai. Nous sa famille, n'avons pas soutenu mon père au temps des épreuves."
Un autre intérêt du livre est la passion de la musique qui lui a sauvé la vie, la manière dont elle en parle et dont elle fait du piano de son enfance un personnage à part entière qui la suit partout jusque dans un camp de rééducation. En tant qu'interprète, elle sait expliquer avec passion ce qu'elle ressent et ce qu'elle veut donner à ressentir.
"Ce que j'ai vécu fait que mon approche de la musique ne peut pas être intellectuelle.(...)  Aussi le public est-il essentiel pour moi.(...) L'humanité est la vérité de la musique. Ce qui compte, c'est cette personne là, qui n'est pas musicienne et que ce soir, peut-être, je vais réussir à toucher, à qui je vais faire entrevoir une partie de son humanité, de notre humanité que jusqu'ici elle ignorait, peut-être, et qui la conduira, qui sait, un jour, elle aussi à dire non lorsqu'elle comprendra que l'essentiel est en jeu."
J'aime beaucoup aussi lorsqu'elle analyse la différence entre la mentalité occidentale et chinoise  et nous parle de son philosophe préféré : Lao Tseu
"Je me rémémore souvent ma voisine qui dans l'avion pour Los Angeles, m'avait cité Lao-Tseu :
La bonté suprême est comme l'eau
Qui favorise tout et ne rivalise avec rien.
En occupant la position dédaignée de tout humain
Elle est toute proche du Tao.
Maintenant, je comprends mieux cette citation. L'eau est utile, elle sert. Elle descend et ne monte pas. Elle se niche dans les creux, où nul ne veut aller, et non sur les hauteurs d'où le monde rêve de dominer. Elle n'est en compétition avec personne et pourtant elle a raison de ce qu'il y a de plus dur au monde : les roches. Et sans eau il n'y aurait pas de vie."
C'est peut-être en cela que réside le secret de la rivière?
Zhu Xiao-Mei

mardi 9 septembre 2008

Un esprit jaloux de A.N. Wilson


Un Esprit jaloux est un roman écrit en hommage à Henry James et en particulier à son roman : Un Tour d'écrou. Celui-ci conte l'histoire d'une gouvernante qui arrive dans un vieux manoir pour s'occuper de l'éducation de deux enfants, un garçon, Miles, et une fille, Flora. Mais bien vite, elle s'aperçoit que la grande et étrange demeure est hantée par des fantômes, deux présences maléfiques, celle de la gouvernante précédente et d'un valet. Tous deux, quand ils avaient la charge des enfants, les ont pervertis si bien que que ces derniers n'ont plus que l'apparence de l'innocence et de la pureté. Le récit se conclut tragiquement.
A. Wilson imagine une étudiante américaine, Sallie, venue à Londres pour terminer son doctorat sur ce roman de Henry James, oeuvre sur laquelle elle travaille de manière obsessionnelle depuis des années; or, pour vaincre sa solitude et résoudre ses problèmes financiers, Sallie accepte la proposition de Charles Masters, avocat séduisant et veuf, qui l'engage comme gouvernante de ses enfants, un garçon, Michael, et une fille, Frances, dans une grande demeure victorienne! On imagine la suite...
L'écrivain ne cherche pas à rivaliser avec James sur son terrain. C'est à dire, qu'elle ne joue pas pas comme lui sur l'ambiguité entre le réel et le fantasmé. Le récit de James, en effet, qui repose entièrement sur la vision et la parole de la gouvernante, nous amène à douter de la crédibilité et de la santé mentale de cette jeune femme. Les fantômes sont-ils issus de son esprit malade ou existent-ils? Mais tout en semant le doute dans l'esprit du lecteur, Henry James fait tout pour que les fantômes apparaissent comme réels et menaçants, ce qui décuple l'angoisse et la peur. Ce double jeu entre apparence et réalité est le propre du fantastique quand il est complexe et réussi.
Dans le roman de Wilson, nous pouvons, bien sûr, être amenés à croire au fantôme que voit Sallie, elle aussi en proie à des visions qui l'affolent et victimes de deux enfants qui la méprisent et se moquent d'elle. Mais l'auteur prend soin de nous révéler rapidement les indices de sa maladie mentale que l'on ne peut mettre en doute. Ceci nous permet de percevoir presque immédiatement ce qui est de l'ordre de la réalité et du fantasmé. Un Esprit jaloux n'est donc pas une histoire fantastique mais plutôt l'analyse du dérèglement mental d'une jeune fille, déjà fragile sur le plan psychique, et si "possédée" par le récit de Henry James qu'elle finit par s'identifier au person

mercredi 3 septembre 2008

Raymond Depardon : la vie moderne

h_4_ill_1111717_vie-moderne.1225649945.jpg
Raymond Depardon : la vie moderne
Samedi 1 novembre, le  matin, au cinéma Utopia d'Avignon, avait lieu une projection du dernier film de Raymond Depardon, La vie moderne, en présence des membres d'un collectif d'agriculteurs : Manger sans paysans. J'ai choisi d'aller à cette séance car j'étais curieuse de savoir comment des agriculteurs du Vaucluse recevraient cette vision des paysans du Massif Central, région géographiquement et économiquement très éloignée d'eux.
Mais d'abord, parlons du très beau film de Raymond Depardon, qui est est le troisème volet de la trilogie Profil paysan : La vie moderne que le grand photographe aura mis près d'une décennie à tourner,  montrant  la vie et,  au cours des années, l'évolution de personnages emblématiques  de la "paysannerie" dans ces régions que d'aucuns considèrent comme reculées : les montagnes de Lozère et d'Ardèche.
Le but de Raymond Depardon au cours de cette trilogie était de filmer un monde en voie de disparition à travers de vieux paysans comme Marcel et Raymond Privat, Louis Brès, Marcelle Brès, Marcel et Germaine Chalaye ... et de poser la question de la passation entre les générations en allant à la rencontre de jeunes nouvellement installés au début de la trilogie : Amandine Vella, lyonnaise venue, pleine d'espoir, s'établir dans le pays avec son mari pour faire de l'élevage, Jean-François Pantel, fermier de Marcelle Brès, et sa compagne.
Et bien voilà, la fin de la trilogie! Voilà que la boucle est bouclée. Le film est d'ailleurs dédié aux disparus, Louis Brès et Marcelle Brès et aurait pu l'être aussi à Marcel Privat décédé depuis. La fin d'une époque! Et la relève, bien compromise! Amandine, annonce qu'elle doit renoncer à son projet, faute d'argent et de terre, Jean-François se débat lui aussi avec toutes sortes de difficultés, une maison encore en construction, pas de possibilité d'acquérir des terres pour agrandir sa propriété.  Et lorsque son petit garçon dit qu'il veut faire le métier de papa,  sa mère répond: "quand tu seras grand, ça aura changé, il n'y aura plus de paysan". Alors, reste encore une jeune fille qui fait des études pour reprendre la ferme des Privat. En général, les enfants ne veulent pas  devenir paysans et les vieux se prennent à regretter la passion des anciens pour la terre et souffrent de voir le pays peu à peu gagné par les genêts, les ronciers, la forêt et le sanglier.
Il ne faut pas s'étonner donc s'il y a une nostalgie profonde dans ce dernier film, nostalgie rendue par des images splendides magnifiées par l'utilisation d'une caméra cinémascope qui donne au cadre une dimension et une profondeur inégalées jusque-là dans les autres films; jamais Raymon Depardon n'a aussi bien filmé ces paysages dans toute leur sauvage beauté, le changement des saisons, les éclairages froids de l'hiver, les teintes rousses de l'automne, la grisaille d'un été pluvieux.. Jamais, non plus, il n'a si bien filmé les habitants, donnant de plus en plus de sens aux silences par la fixité des images, laissant le temps de l'intériorisation, accordant une importance au langage du corps, aux mains qui se crispent, aux regards qui s'appesantissent, pratiquant le contraire même des reportages de télévision, communiquant son respect et son amour de ces gens qui se qualifient eux-mêmes de "bourrus", bref! laissant l'image parler et quelle image! On sent le vent, le froid, la solitude, on sent la tristesse, le découragement  mais aussi, entre les générations, la jalousie, voire la haine, et encore, pour les plus âgés, l'amour des bêtes et le dévouement absolu presque inhumain, à nos yeux de citadins, à la terre de leurs ancêtres.
Quel beau film! On y entre par un travelling avant sur une  route que nous suivons avec le cinéaste vers ces fermes  du bout du  monde. On le quitte par un travelling arrière où l'on parcourt à reculons la route du Villaret d'où se détache la silhouette de Raymond Privat et son adieu.
Quant au débat qui a suivi? Mon attente a été déçue. A part un ou deux  spectateurs, personne ne s'est jamais vraiment intéressé au film. Quelqu'un a même regretté que Depardon ne parle pas des productions lozériennes, fromages de chèvre,  cultures... Ce n'est évidemment pas le propos du réalisateur! Les interventions ont porté sur "le  manger mal", la culture et l'élevage hors sol. Deux maraîchers ont pris la parole disant la difficulté de maintenir une véritable culture écologique, les dangers qui menaçaient la ceinture verte d'Avignon qui se réduisait peu à peu, menacée par les constructions et le projet de passage d'un axe est-ouest. Certaines de ces interventions étaient intéressantes mais ont rarement été mises en rapport avec le documentaire de Depardon et d'ailleurs les citadins étaient plus nombreux que les agriculteurs dans la salle... Le beau film que nous venions de voir n'était pas au coeur de la discussion et c'est bien dommage, car il se serait prêté à une réflexion sur le devenir du "métier" (mot souvent employé par Raymond Privat) dans les deux régions et en France en général. Le film n'a servi que de prétexte, ce qui, malheureusement est trop souvent le cas dans ce genre de rencontres.