Pages

dimanche 6 mai 2012

Un livre/Un film : Réponse à l'énigme N° 32 : La jeune fille et la perle : Vermeer, Tracy Chevalier, Proust






Le film de Webber  et le tableau de Vermeer

69968339_p
Gagnent un Vermeer authentique :  Aifelle,  Dasola,  Eeguab,  Gwen, Jeneen,  Lire au jardin, Maggie, Marie-Josée, Miss Léo, Pierrot Bâton,  Shelbylee, Somaja, Tilia.

Le roman : Tracy Chevalier : La jeune fille à la perle

Le film :  Peter Webber : La jeune fille à la perle

Merci à tous et toutes pour votre participation ....



Le roman est  né de la fascination de Tracy Chevalier pour Vermeer et en particulier pour le tableau intitulé La jeune fille à la perle. On ne sait pas qui a servi de modèle réellement. Certains spécialistes pensent qu'elle peut être une des filles de Vermeer, d'autres une servante. Tracy Chevalier tranche et imagine qu'il s'agit effectivement d'une servante qu'elle nomme Griet. Elle lui prête vie en la dotant d'une identité et d'une histoire.
La  structure du récit respecte l'ordre chronologique des évènements et présente plusieurs grandes dates :

1664 :  Le père de Griet est ouvrier dans une fabrique de faïence mais il perd la vue dans un accident de travail et ne peut subvenir aux besoins de sa famille et de ses trois enfants. Griet s'engage comme servante chez les Vermeer. Commence alors une dure vie de labeur dans cette famille de six enfants. Mais la découverte de l'atelier de Vermeer, où elle doit faire le ménage sans déplacer un objet la remplit d'aise. En faisant le marché, elle fait connaissance d'un jeune boucher Pieter qui voudrait bien l'épouser. Bientôt, elle apprend que la peste sévit dans le quartier où habitent ses parents mais sa maîtresse ne lui donne pas l'autorisation de les rejoindre. Sa petite soeur Agnès meurt.

1665 : Chez les Vermeer, le peintre demande de plus en plus son aide à Griet car elle manifeste un goût esthétique sûr et a le sens des couleurs. Il lui apprend à préparer les piments.. L'admiration, la complicité et bientôt l'amour platonique  mais non dépourvu de sensualité qu'elle porte à son maître lui permet de supporter les difficultés de la vie et ces instants passés avec lui deviennent une trouée de beauté dans la grisaille de son existence. Cela lui permet de repousser sans se plaindre les avances brutales de Van Ruijven, le commanditaire de Vermeer,  les méchancetés de  Cornélia, la deuxième fille du maître.

1666 : Vermeer peint le portrait de la jeune fille en cachette de sa femme, Catherina, et lui fait porter ses perles avec la complicité de Maria-Thins, la mère de Catherina. Cette dernière, jalouse, chasse Griet qui perd sa place sans que le maître fasse un geste en sa faveur.

1667:  Griet à épousé  Pieter.  Après la  mort de Vermeer,  elle retourne retourne chez lui. Il lui a légué les perles par testament. Griet vend les perles et avec l'argent paie les dettes de son maître.


Johannes Vermeer : Vue de Delft

Un roman historique : Tracy Chevalier s'est largement documentée sur la vie et l'oeuvre de Vermeer mais aussi sur la société du XVII ème siècle à Delft.
La ville est alors un ville riche qui vit du commerce  de la faïence. Ceci est représenté dans le roman par le carreau de faïence que son père donne à Griet quand elle quitte la maison. Les ouvriers sont pauvres malgré un dur travail. La journée commence à l'aurore et se termine si tard que le père, épuisé, n'a plus le courage de manger quand il rentre chez lui.Ses bras sont marqués par les brûlures occasionnées par les fours.  Lorsque le père a un accident de travail et qu'il ne peut plus travailler, la famille sombre dans la misère malgré une aide - trop insuffisante- de la Guilde. Griet explique qu'ils n'ont pas mangé de viande depuis des mois.

Tracy Chevalier  sait aussi faire vivre la ville Delft, animer les rues, les marchés,

Chacune de ces étroites maisons de brique, chacun de ces toits rouges en pente raide, chacun de ces canaux verdâtres, chacune de ses portes demeuraient à jamais dans mon esprit, minuscule mais distinct.

Johannes Vermeer : La ruelle

La ville est partagée entre deux communautés religieuses. L'une dominante, les protestants, l'autre minoritaire, les catholiques, peu nombreux et seulement tolérés dans la ville. Cela va poser bien des problèmes à Griet qui est protestante et vivre dans une maison catholique l'inquiète. Le tableau représentant le Christ en Croix entouré de la Vierge et des saints, qui orne la salle, la sidère.

Cette pièce resterait toujours pour moi la pièce de la crucifixion. Jamais je ne m'y sentis à l'aise.

L'écrivain nous fait pénétrer dans les maisons bourgeoises que nous connaissons par les tableaux de l'âge d'or (XVII siècle hollandais), salles aux fenêtres formées de petits carreaux lumineux, avec leurs cuivres brillants, leurs lourdes tentures en velours ou en soie, les meubles noirs marquetés, le sol au carrelage coloré et vernissé, luisant de propreté, mais aussi dans l'envers du décor, celui des servantes. Nous voyons quel est le travail que Griet doit accomplir, sa position sociale, qui est au bas de l'échelle, les humiliations, les offenses qu'elle est obligée d'accepter pour ne pas perdre sa place et ne pas réduire sa famille à la misère.


Le film
Si la vision historique et sociale est réussie dans le roman, le film l'est tout autant de ce point de vue. Les images nous font pénétrer dans des tableaux vivants et surtout dans les intérieurs des peintures de Vermeer. Les lumières, les couleurs sont splendides et font de ce film un enchantement, imitation parfaite de l'atmosphère du Maître.
Il est dommage que le réalisateur sacrifie les personnages secondaires des enfants à quelques exceptions prêts. A part Cornélia  qui a un rôle important, on n'aperçoit et on entend que très peu les autres. Ils auraient pu constituer un second plan qui aurait donné vie et authenticité à la maison de Vermeer doté de six enfants. Ce n'est pas rien! Tracy Chevalier, elle, a eu le talent de les faire vivre par petites touches de manière à ce qu'ils fassent un contrepoint discret mais permanent au récit.

Une histoire d'amour douloureuse et un roman d'initiation

Griet la narratrice est aussi le personnage principal. Si elle a beaucoup de bon sens, est sérieuse et minutieuse et est habituée au travail domestique chez sa mère, elle n'en est pas moins une très jeune fille, inexpérimentée. Elle n'a jamais quitté sa famille et la séparation est difficile. Elle a  seulement 16 ans. Naïve, spontanée, elle ne sait pas cacher ses sentiments. Dotée d'un solide sens moral et de principes, elle va vite perdre ses illusions sur la société. L'apprentissage qu'elle va recevoir chez Vermeer, n'est pas seulement celui du travail. Elle y apprend aussi l'humiliation, les violences quand elle doit se défendre des agressions de Van Ruiyven. Elle apprend aussi quelle est sa place : au bas de l'échelle sociale. Elle comprend que, servante, elle n'a droit à aucune considération. Son maître, même s'il est troublé par sa beauté, même si elle le surprend par son intelligence et sa sensibilité, l'utilise, la manipule. Il n'hésite pas à la sacrifier à sa femme lorsque le tableau est terminé. Griet s'enfuit de cette maison,  C'est une expérience qui la marque pour la vie. Lorsqu'elle a vendu les perles et payé les dettes du Maître, Griet conclut par cette phrase désenchantée  :

La dette désormais réglée, je ne lui aurais rien coûté. Une servante, ça ne coûtait rien.

 Scarlett Johansson

Le film
L'interprétation de Scarlett Johanson  dans le film est sublime. Elle intériorise tous ses sentiments,  les laissant  deviner à travers une attitude corporelle, un regard. L'indentification avec la jeune servante est parfaite, la métamorphose qui fait de la figure vivante une icône peinte est fabuleuse!

J'ai beaucoup moins aimé Colin Firth (que les fans de l'acteur me le pardonne... si c'est possible) dans le rôle de Vermeer. Il n'y aucune évolution dans son jeu. Du début à la fin, il joue ce rôle d'homme accablé, renfrogné, au regard vaguement neurasthénique. Son visage est peu expressif.

Un hommage à la peinture de Vermeer

Tracy Chevalier fait allusion à plusieurs tableaux de Vermeer.


La laitière :
Taneke se redressa, un bonnet à la main et me dit : Le maître a fait une fois mon portrait, tu sais. Il m'a représentée en train de verser du lait. Tout le monde a dit que c'était son plus beau tableau.
Il y eut bien chez les Vermeer, une servante illettrée qui s'appelait Tanneke Everpoel. Un rapport de police mentionne que celle-ci sauva Catarina "enceinte au dernier degré" des coups que lui portaient son frère Willem Bolnes. Ce récit est rapporté dans le roman de Tracy Chevalier. Mais on ne peut être certain que la laitière soit bien Tanneke.





La femme à l'aiguière que Griet appelle la fille du boulanger ; celle-ci à froid pendant les poses et Griet doit aller lui chercher une chaufferette. C'est le tableau que Vermeer est en train d'exécuter lorsqu'il demande à Griet quelle est la  couleur des nuages.

Il passa un bleu pâle sur la jupe de la jeune femme et celui-ci se transforma en un bleu moucheté de noir, que l'ombre de la table rendait plus foncé, et qui s'éclaircissait près de la fenêtre. Au mur, il ajouta de l'ocre jaune laissant entrevoir du gris, le rendant lumineux mais non pas blanc.

 La dame à l'aiguière semble une réplique de La laitière mais transposée dans un milieu différent. L'une des scènes se passe dans une cuisine, l'autre dans un salon, à la cruche en poterie répond l'aiguière, à la chaufferette posée par terre, la boîte à bijoux sur la table, à la simple nappe, un lourd tapis rouge, à la robe en gros drap usagé, la robe en satin de soie que l'on appelle caffa en Hollande.  La coiffe blanche à longs pans de la dame est en lin fin immaculée, celle de la laitière est plus grossière. L'aiguière, précieuse, en vermeil doré, posée sur un bassin est un riche legs de Maria Thins à sa fille Catarina. Bien que la femme soit d'une condition supérieure à  celle de la laitière, on ne peut répondre avec certitude à cette question :  La dame à l'aiguière est-elle Catarina?*

* d'après un article de Michel Daubert




Le concert où Van Ruiyven a réellement posé.

Une jeune femme joue du virginal. Elle porte un corselet jaune et noir.... une jupe de satin blanc et des rubans blancs dans les cheveux. Debout dans la partie incurvée de l'instrument, une autre femme chante, une partition à la main. Elle porte un peignoir vert garni de fourrure au-dessus d'une robe bleue . Entre les deux femmes, un homme est assis, il nous tourne le dos..
"Van Ruiyven, interrompit mon père
-Oui. On ne voit que son dos, ses cheveux et sa main posée sur le manche du luth.
-Il en joue bien mal, s'empressa d'ajouter mon père.
-Oui, très mal. Voilà pourquoi il nous tourne le dos; pour nous cacher qu'il n'est même pas capable de tenir son luth correctement.



La jeune fille au verre de vin

Rappelle-toi la dernière fois avait insisté Maria Thins, soucieuse de lui rafraichir la mémoire. Oui, la servante! Souviens -toi de Van Ruijven et de la servante à la robe rouge!
Il semblerait que Van Ruijven ait voulu qu'une de ses filles de cuisine pose pour lui pour un tableau. Ils l'ont vêtue  d'une des robes de son épouse et Van Ruyjven a veillé à ce qu'il y ait du vin dans le tableau pour la faire boire chaque fois qu'ils posaient. Bien sûr elle s'est retrouvée enceinte de Van Ruijven avant que le tableau soit terminé.


Mrs Van Ruijven : La dame au collier de perles

Lorsque Griet, à la demande de son maître, regarde dans la boîte noire :

Je voyais la table, les chaises, le rideau jaune dans l'angle, le mur noir sur lequel etait accrochée la carte, le pot céramique miroitant sur la teble, la coupe en étain, la houpette, la lettre.
Le lendemain :
Si jusque-là je n'avais remarqué que d'infimes changements, cette fois j'en  remarquais un bien évident, la carte, accrochée au mur, derrière la femme, avait été retirée du tableau et aussi du décor. Le mur était nu. Le tableau n'en paraissait que plus beau, plus sobre, les contours de la femme ressortaient mieux sur cet arrière-plan qu'était le mur.

Un vrai bijou une fois de plus, disait Van Rujven, vous plaît-il ma chère? demanda-t-il à son épouse.
-Bien sûr, répondit-elle. La lumière du jour qui entrait par les fenêtres éclairait son visage, la rendant presque belle.



La jeune fille en jaune écrivant une lettre

Je respirai à peine puis d'un geste rapide, je tirai sur le devant de la nappe bleue, donnant ainsi l'impression qu'elle sortait de l'ombre, puis j'en rabattis un pan, dégageant un angle de table devant le coffret à bijoux. j'arrangeai les plis, puis je reculai pour voir l'effet produit. L'étoffe ainsi pliée suivait la forme du bras tenant la plume.


Marcel Proust et Johannes Vermeer

 




 Marcel Proust admirait Vermeer. Dans à La recherche du temps perdu, voilà ce qu'il écrit sur Vue de Delft :
Enfin, il fut devant le Ver Meer, il se le rappelait plus éclatant, plus différent de tout ce qu'il connaissait, mais où, grâce à l'article du critique*, il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et, enfin la pernicieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étourdissements augmentaient; il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu'il veut saisir, au précieux petit pan de mur. "C'est ainsi que j'aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune."

*Critique : Jean-Louis Vaudoyer



Challenge de Shelbylee 


20 commentaires:

  1. J'ai gagné un Vermeer authentique, chic ! je vais pouvoir m'offrir la propriété de mes rêves. Je me déciderai peut-être un jour à regarder le film. Pour l'instant je préfère rester sur le roman.

    RépondreSupprimer
  2. je ne connaissais ni le livre ni le film, Vermeer quand même! Tu m'as vraiment donné envie des deux premiers

    RépondreSupprimer
  3. Quel magnifique article ! J'ai pris le lien pour le challenge :)

    RépondreSupprimer
  4. Le tableau "la ruelle" est magnifique ! Un bon souvenir de lecture...

    RépondreSupprimer
  5. Un Vermeer fera très bien chez moi, merci !!! Ce que tu dis de C. Firth, m'anéantit, mais je dois avouer que tu as un peu raison quand même...
    Le roman est superbe, les descriptions d'odeurs, de couleurs sont extraordinaires.
    Tu as lu "Jeune fille en bleu jacinthe" de Susan Vreeland ? Très intéressant aussi sur le parcours du tableau pendant 3 siècles.

    RépondreSupprimer
  6. bravo pour ce très beau billet! sublime!

    RépondreSupprimer
  7. j'ai aimé le livre, pas vu le film et bcp aimé la ville de Delft, visitée ado !

    RépondreSupprimer
  8. bon, soupiiir...tant pis pour Colin Firth...
    Cela dit, le film est veau, les tabelaux aussi (la ruelle, superbe !)
    tu devrais lire "jeune femme au luth"(http://eden6804.blogspot.fr/2012/05/jeune-femme-au-luth-k-weber.html)
    Il y est aussi question d'un tableau de Vermeer (inventé), j'ai cherché à quoi il aurait pu ressembler...Très beau livre...
    biz

    RépondreSupprimer
  9. J'arrive trop tard pour l'énigme mais pas pour ton billet
    magnifique et complet
    ce livre est un bonheur, le film et je vous recommande le livre lu par Isabelle Carré
    L'expo Vermeer à La Haye un de mes meilleurs souvenirs personnels !!!

    RépondreSupprimer
  10. J'avais lu le livre, avec grand enthousiasme, mais je n'ai pas eu la curiosité d'aller voir le film. je n'aime pas trop aller voir une adaptation d'un roman lu... je préfère rester avec mes représentations...

    RépondreSupprimer
  11. @ Aifelle : Propriété de tes rêves? La maison de Monet à Giverny?

    RépondreSupprimer
  12. @ Mriam : lecture et film agréables.

    RépondreSupprimer
  13. @ Shelbylee : Merci! Je continue volontiers avec ton challenge.

    RépondreSupprimer
  14. @ Maggie : J'aime beaucoup "la Ruelle". Le film montre des maisons comme celles-là. C'est un grand plaisir visuel.

    RépondreSupprimer
  15. @ Somaja : J'ai la jeune fille à la robe bleue jacinthe dans ma PAL. Je vais le lire bientôt certainement.

    RépondreSupprimer
  16. @ Lystig : Tu as vu la ville! C'est un visite que j'aimerais bien faire aussi!

    RépondreSupprimer
  17. Jenne : Tu me pardonnes donc pour Colin Firth. Ouf! Heureusement que je ne parlais pas d'Armitage!
    La jeune fille au luth, c'est noté!

    RépondreSupprimer
  18. @ Dominique : Merci! Chaque fois que je me trouve devant un tableau de Vermeer, le charme agit!

    RépondreSupprimer
  19. @ Hélène : Le film est un vrai plaisir pour les images, le travail sur la lumière même s'il n'est pas parfait.

    RépondreSupprimer

Merci pour votre visite. Votre message apparaîtra après validation.